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«Les étudiant·es protestent contre la complicité de nos démocraties»

Pourquoi des mobilisations étudiantes en soutien à à Gaza, alors que cela n’a pas été le cas lors de l’agression de l’Ukraine? Le cinéaste Jacob Berger, à l’origine de l’appel des artistes suisses pour un cessez-le-feu à Gaza*, esquisse les raisons qui ont poussé une partie de la jeunesse européenne à s’engager contre la guerre menée par Israël dans l’enclave palestinienne.
Israël-Palestine 

De l’Espagne à la Grèce, de la Suède à l’Italie, du Canada à l’Australie, en passant par la France, l’Allemagne, la Hollande, l’Irlande, la Grande Bretagne, et la Suisse également, les étudiant·es protestent contre la complicité de nos démocraties avec les crimes commis par Israël en Palestine. Pourquoi la jeune génération s’engage-t-elle aujourd’hui de cette manière? Comment se fait-il qu’une telle mobilisation n’ait pas eu lieu avant, lorsqu’Israël avait mené d’autres campagnes contre les Palestinien·nes? Et pourquoi la jeunesse ne s’est-elle pas mobilisée de la même manière contre l’agression russe en Ukraine?

L’invasion – ou plutôt la tentative d’invasion – de l’Ukraine par la Russie a donné lieu à une réponse exemplaire de la part des pays européens: condamnation des agresseurs, sanctions drastiques contre le Kremlin et ses dirigeants, suspension des échanges commerciaux puis culturels, gel des avoirs russes, exportations d’armes et aides financières considérables au gouvernement Zelensky, accueil de milliers de réfugié·es ukrainien·nes, etc.

Ces actes furent accompagnés d’une indignation morale sans équivoque: l’attaque par la Russie, au-delà des frontières internationalement reconnues (bien que contestées) d’un pays voisin, le bombardement des population civiles et de nombreuses infrastructures – en particulier les centrales électriques, les hôpitaux, les écoles et les lieux culturels –, les exécutions, la torture, les viols constituaient autant de «crimes de guerre», voire de «crimes contre l’humanité», dont la Russie allait devoir répondre. Marioupol, Boutcha, Zaporijjia, Kherson devinrent des symboles de la barbarie russe. Des enquêtes furent menées, des tribunaux internationaux furent saisis. Poutine lui-même fit l’objet d’un mandat d’arrêt international. Nos actes et nos valeurs semblaient, pour un temps, alignés.

Mais, un an et demi après le début de l’invasion russe, survinrent les attaques terroristes du 7 octobre, laissant le monde sans voix: 1200 personnes, dont 37 enfants, massacrés par le Hamas! Une attaque – et un crime – sans précédent dans l’histoire d’Israël. Comment allait réagir l’Etat hébreu?

Sept mois plus tard, le bilan de la «réplique» israélienne est si disproportionné, si terrifiant, si apocalyptique que l’invasion russe de l’Ukraine aurait presque l’air «mesurée»: près de 40 000 civils tués dans la bande de Gaza, dont une immense majorité de femmes et d’enfants, entre 70 000 et 100 000 blessés et mutilés, la totalité du territoire réduit en cendres, plus de 100 journalistes et plus de 100 travailleurs humanitaires volontairement ciblés et massacrés, torture généralisée, biens culturels détruits ou pillés, hôpitaux et écoles méthodiquement visés, une famine sciemment organisée, sans parler des centaines d’attaques de colons contre les Palestinien·nes de Cisjordanie, ou encore des résolutions de l’ONU et des ordonnances de la Cour internationale de justice 1> La CIJ a ordonné des mesures conservatoires visant à protéger la population gazaouie en réponse à la plainte pour génocide déposée contre Israël par l’Afrique du Sud en décembre 2023, ndlr. systématiquement foulées aux pieds par Netanyahou et son gouvernement.

Or, comment avons-nous répondu? Non seulement nous avons toléré, mais nous avons carrément approuvé ces actes impardonnables. Nous avons commencé par réprimer les manifestations de soutien au peuple palestinien, accusé les défenseurs des civils gazaouis d’être anti-juifs, certains pays sont allés jusqu’à interdire de parole les témoins directs des atrocités commises par Israël et tous ont continué à vendre des armes et à échanger leur technologie avec Israël, considérant que le scandale n’était pas le génocide qui se déroulait sous nos yeux à Gaza, mais le «retour de l’antisémitisme» dans nos sociétés.

En France, un célèbre humoriste vient d’être sanctionné par la radio publique où il officiait pour avoir qualifié Netanyahou de «nazi sans prépuce». Où se situait la faute? Dans le mot «nazi»? Le fait que Netanyahou soit assimilé à un nazi par toute une partie de la jeunesse européenne mobilisée ne fait plus guère de doute. Impossible de ne pas penser au ghetto de Varsovie quand on regarde les images de Gaza. Impossible de ne pas penser aux représailles contre les résistants, lorsque la Wehrmacht faisait exécuter vingt femmes et enfants pour chaque soldat allemand tué.

Ce que les étudiant·es occidentaux ne pardonnent pas à leurs «élites» – gouvernements, partis politiques (dans leur grande majorité), médias (idem) et autorités universitaires – c’est d’en être resté à ce vieil atavisme du XXe siècle – «Israël, unique démocratie du Moyen-Orient», «Israël, tête de pont de l’Occident en terre arabe», «Tsahal, armée la plus morale du monde», etc., directement hérité de la culpabilité collective de l’Europe dans l’avènement de la «solution finale» – sans comprendre que les héritiers des victimes d’hier sont entretemps devenus les oppresseurs d’aujourd’hui, que les enfants des persécuté·es d’hier sont devenus les persécuteurs et les colons d’aujourd’hui. Bref, sans voir que le monde avait changé.

Tant que nos gouvernements ne traiteront pas Israël – l’Israël de Netanyahou et de son gouvernement d’extrême droite – de la même manière que la Russie de Poutine, la jeunesse européenne manifestera son indignation et sa juste colère contre notre humanité à deux vitesses.

*Aux côtés du cinéaste Nicolas Wadimoff, du dramaturge et metteur en scène Dominique Ziegler et de la productrice Palmyre Badinier.

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